jeudi 20 mars 2014

Phnom Penh : la renaissance d'une capitale

De Siem Reap à Phnom Penh

J'avais rendez-vous à onze heures trente pétante devant mon auberge de jeunesse, pour qu'un pik-up m'amène à la gare routière. Je me suis retrouvée avec une famille de cambodgien adorable, dont deux petits garçons aux sourires dévastateurs. Une fois sur place, il faut être patient, mais nous avons quand même fini par partir. Le bus était plein à craquer, nous étions seulement trois "farangs".

Normalement six heures de route sont nécessaire pour aller de Siem Reap à Phnom Penh. Au final, nous avons mis plus de neuf heures. La route a été très rock'n roll, non seulement à cause de l'état chaotique des routes, mais aussi de part la conduite du chauffeur. Je ne sais combien de fois je me suis dit "là on va y passer". Une chose est sûre, je me souviendrai du jour de mes 26 ans. Je revois encore le chauffeur collant le camion, remplit d'arbre menaçant de tomber. Et le son du klaxon ; toujours ce klaxon, présent tout au long de la route. C'était un peu comme une compétition, quand le bus doublait et qu'un camion arrivait en face à vive allure, celui qui faisait le plus de bruit gagnait la priorité. Nous nous sommes donc parfois retrouvés hors sentier battu, sur le côté de la route ; dans la poussière rouge des bords terreux.

Le car était vintage (des rideaux à fleurs, passés par les années) et les sièges poussiéreux. Un folklore dans lequel je me suis surprise à bien m’acclimater. Les gens étaient souriants, et les bébés silencieux. J'ai pu profiter du paysage et voir différents petits villages. Par la fenêtre, des maisons de bois sur pilotis, des enfants jouant et des femmes portant de lourde charge sur leur tête.

Arrivée à Phnom Penh, il était déjà tard. Je ne savais pas où j'étais et il fallait que je trouve une auberge rapidement. Par chance, je commence à devenir une femme organisée et je m'étais renseignée pour une auberge bon marché dans le centre ville. J'avais juste noté l'adresse. Les deux allemands, avec qui j'avais fais connaissance lors d'une courte pause, avaient un tuk tuk qui les attendait (un ami de leur chauffeur à Siem Reap). Ils m'ont alors proposé de venir avec eux. Très gentlemans, ils m'ont déposé à mon auberge et ils n'ont pas voulu que je paie quoi que ce soit.

Une fois dans ma chambre, je réalise que je suis vraiment toute seule. Seule des chaussures trônent au milieu de la pièce. L'endroit est un peu glauque mais il fera l'affaire. J'ai donc fêté mon anniversaire dans mon lit, au menu : un fruit du dragon.



Et voilà que se pointe mon colocataire. Quel sex appeal ou plutôt... à poil ! Imaginez un homme d'une cinquantaine d'année, se dénudant sans pudeur devant moi, avec un magnifique caleçon irlandais. C'est alors que j'aperçoit une masse de poil s'étalant sur l'intégralité de son dos ; quel plaisir des yeux... Pour mon anniversaire je rêvais plus d'un Johnny Depp ou d'un Patrick Swayze, qui m'aurait fais danser toute la nuit. Et bien non, couchée à l'heure des poules. Une bonne nuit de sommeil, il n'y a rien de telle pour vous remettre d'aplomb.

Une autre façon de vivre


Le lendemain j'ai essayé de me repérer, j'ai sillonné les rues en disant toute les cinq minutes : "no, thank you". Ici il y a des tuk tuk partout : "lady, you want tuk tuk?", "hey miss, tuk tuk?", "motobike for lady?". Une pollution sonore auquel il faut s'habituer si vous voyagez en Asie.

















Je savais que pour ne pas rester toute seule, il fallait que je change d'auberge, mais au final ça me faisait du bien donc j'ai préféré rester là. Cela m'a permis de faire le point sur mes deux mois et demi de voyage et sur ce que cela m'a apporté. J'ai donc fais mes allées et venues, trainant dans la rue et regardant ce spectacle de vie défiler sous mes yeux. C'était un peu ma télévision à moi, mais en mieux car il n'y a ni manipulations ni mensonges : la pure et simple réalité. Je restais là, à regarder des enfants jouer au foot, ou encore les moines passant avec leur parapluie.





J'ai par la suite fais une soirée avec Kanhchana, une cambodgienne qui a travaillé sur un film avec Claire (ma môman de substitution). Nous avons passé quelques heures ensemble, avec ses amis, et nous avons pris le bateau pour admirer Phnom Penh by night. Une très bonne soirée en dégustant les célèbres maïs grillés. Je n'avais pas pris mon appareil photo avec moi ce soir là, mais l'un des ami de Kanhchana a pu prendre une petite photo souvenir avec son téléphone portable.


Nous avons alors échangé sur nos différentes cultures, mais aussi sur les conditions de la femme au Cambodge. Kanhchana est une exception, c'est elle qui fait "bouillir la marmite". Elle habite avec sa tante, dans un village à environ trente minutes de Phnom Penh. Elle a fait sa licence ici et son master à Hanoï, au Vietnâm (étude Euro Asiatique), je vous laisse donc imaginer la pression qu'elle a d'avoir un boulot pour nourrir sa famille. Nous avons parlé des relations hommes femmes et de nos différentes libertés face à elles. Ici, les femmes n'ont pas le droit à l'erreur et quand elle trouve un homme, c'est pour la vie qu'elles s'engagent. Forcément, je ne me suis pas risquée à parler de mes déboires sentimentaux. J'ai juste fais part d'une autre réalité en France : l'autonomie, l'égalité et l'indépendance de la femme.

Je regrette de ne pas avoir pu parler avec ses amis car je ne parle pas cambodgien. Nous avons tout de même pu échanger par des gestes, des sourires. J'étais un peu mal à l'aise car ils m'ont tout payé sans me le dire (sachant que pour les touristes, les prix sont beaucoup plus élevés). Mais ici quand il y a un homme, c'est lui qui doit payer. Kanhchana était un peu perturbée de me voir voyager seule. Avec l'une de ses amie elles m'ont alors ramené à mon auberge.

J'ai aussi passé quelques temps avec Dy, un cambodgien qui travaille dans l'audiovisuel et qui a aussi travaillé sur un film avec Claire. Nous nous sommes vus tous les trois avec Kanhchana. Ils m'ont fait découvrir les spécialités culinaires du Cambodge mais aussi des lieux où ils aiment se rendre. Kanhchana m'a amené dans la plus grosse médiathèque francophone de Phnom Penh, où nous avons fait nos rats de bibliothèque pendant une après-midi.

Dy m'a amené à une exposition de photo sur le thème des "photos oubliées", retraçant le vie des cambodgiens durant la période des Khmers rouge. Les photos étaient tirées de maquettes réalisées avec les documents de l'époque. L'exposition se trouvait à Bophana, un centre de ressources audiovisuelles. Dy travaillait là avant alors j'ai eu le droit de faire le tour des bureaux et de voir comment tout le monde travaillait. Bon certes, je n'ai rien compris à l'écran audio ni à tous les boutons qui ressemblent à une table de mixage mais au moins j'ai compris les rôles de chacun. Le principe est de récolter le plus d'informations, d'images, de bribes de vie et éclats de voix pour "tenter de donner un nom, une âme, un visage, une voix à ceux qui en ont été privés". Honorable concept qui permet de rendre aux victimes d'une période sanguinaire, leur mémoire et par la même occasion leur liberté d'expression.




Parlez-moi de Phnom Penh


"Quant à ses toits, couverts de céramiques dorées, ils ont des cornes à tous les angles, mais des cornes très très longues, qui s'inclinent, se redressent, menacent en tous sens ! À côté de ces cornes-là, celles des pagodes chinoises, vraiment paraîtraient rudimentaires, à peine poussées ; on dirait que plusieurs taureaux géants ont été décoiffés pour orner l'étrange temple."
 Pierre Loti


L'histoire de Phom Penh est très particulière. Il est difficile pour nous d'imaginer, que cette ville a été complètement vidée de ses habitants, par les Khmers rouges, en 1975. Durant quatre longue années elle n'a pas bougé, elle est restée là, dans l'attente de sa renaissance. Ce n'est qu'en 1979 qu'elle a pu reprendre vie dans le contexte politique et social particulier de la période post-Khmers rouge. Même si la ville reste marquée par le traumatisme de la période Pol Pot, elle est tout de même un point d'ancrage qui permet aux cambodgiens de retrouver leur identité nationale.

Pour faire court, les Khmers rouge étaient à la base un groupe de gauchiste communiste révolutionnaire. Année après année ils prennent forme et créent leur propre armée. Ils s'opposent alors au gouvernement du Cambodge. Le 17 avril 1975, en l'espace de 24 heures, la ville de Phnom Penh est évacuée par l'armée des Khmers rouge. La population est alors divisée en trois partie :
  1. Les militaires : conduit à l'écart, pour être exécutés
  2. Les intellectuels et les fonctionnaires : conduit pour la plupart dans le centre de détention de Tuol Sleng
  3. Le peuple cambodgien : conduit vers les rizières ou des camps de travail
 

Tuol Sleng, un devoir de mémoire


Ancien collège, Tuol Sleng a été utilisé comme centre de détention et de torture sous le régime des Khmers rouge. Aujourd’hui, il fait son devoir de mémoire, ouvre ses portes, et nous dévoile son histoire. J'ai mis plusieurs heures avant de me sentir mieux, alors âme sensible s'abstenir.




























Je me suis fais violence car je pense que c'est important pour réaliser et comprendre l'histoire du Cambodge. J'ai ressenti un peu la même chose qu'en 2005, lorsque je me trouvais à Auschwitz. Je ne pouvais m'empêcher d'imaginer ce dont ces tristes murs ont été témoins. Les secrets qu'ils renferment. Leur mémoire. Les larmes, les cris, les hurlements de douleur, la mort...


















Parlons-en de la mort, ici ce sont prêt de 5000 victimes qui sont affichés sur les murs (imaginez combien d'autre encore...). Tous ces visages, ces regards que l'on ne peut pas oublier, surtout que l'on ne doit pas oublier.


Des documents écrits, et quelques peintures qui décrivent la vie dans cette prison. Tout est resté en l'état depuis le départ des Khmers rouges ; même si les instruments de tortures trop "dérangeant" ont été, pour la plupart, retirés.



 Les prisonniers étaient attachés ensemble par les pieds (une grande barre de fer avec des anneaux), il était alors impossible de changer de position sans autorisation.
Des traces de la première fonction de ce bâtiment : un collège...

Les cages servant à enfermer les scorpions.
Ils plongeaient les détenus dans une énorme boîte en bois remplie d'eau. Ils attachaient leurs pieds à ces anneaux en fonte.
Accrochés par les pieds, les prisonniers étaient plongés dans ce bidon, jusqu'à épuisement.









La potence : les détenues étaient pendus par les pieds jusqu'à ce qu'ils perdent connaissance. Leurs têtes étaient ensuite plongées dans les grande jarres pour les réanimer et faire durer le supplice. Derrière, les tombes des quatorze victimes retrouvées sur place en 1979.
Les numéros servant aux clés, fermant les portes des cellules de la prison.
Un simple "arrosoir" qui en fait servait à remplir les détenus d'eau. Ils étaient accrochés sur une plateforme en bois.










J'ai eu froid dans le dos et l'atroce sensation d'oppression m'a alors gagné. Ses lieux sentent la peur, sentent la mort et c'est vraiment palpable. J'ai réalisé encore une fois que la vie est bien complexe et que je suis vraiment chanceuse d'être née en Bretagne, en 1988. Se rendre compte à quel point l'Homme peut être son pire ennemi juste pour une question de pouvoir ou de richesse, quelle triste réalité. Comme disait Kubrick "La principale question morale est de savoir si oui ou non un homme peut être bon sans avoir le choix d'être mauvais et si oui ou non, cette créature est encore humaine".



Quand les gens étaient envoyés ici, la mort était inéluctable. Ils torturaient hommes, femmes, enfants (même des nourrissons) et vieillard, la plupart du temps pour des motifs imaginaire. Fouet, arrachage de dents et des seins, coupages de doigts, brûlures, morsure de scorpions... Le simple fait de porter des lunette était considéré comme une provocation au régime en place. Il y avait aussi des étrangers (Indiens, Pakistanais, Anglais, Américains, Canadiens, Australiens...). Les gardes avaient pour la plupart entre 10 et 15 ans, et sous l'endoctrinement de leurs aînés, ils devenaient souvent plus cruels que les adultes. De plus, en pleine croissance hormonale, ils violaient en cachette les fillettes et les femmes détenues.





Les Khmers rouges prenaient en photos tous les prisonniers, à l'arrivée puis lors de la mort pour montrer que "l'ennemi n'avait pas survécu".

Pour citer encore une fois Kubrick -qui décidément est à l'honneur sur cet article- je mettrais simplement cette phrase : "Je ne vois pas les personnages de l'histoire en termes de bien ou de mal, mais en terme de bien et de mal".


 Les fameuses barres de fer avec anneaux en fonte.














Parmi plus 14 000 personnes, moins de 7 survivants ont pu être identifiés. Imaginez alors ce qu'il en était dans les 190 autres prisons du régime. Pour moi, appeler ça un centre de "détention et de torture" c'est un peu comme appeler un pays dans la misère la plus totale, un "pays en voie de développement". On sait bien le faire ça nous, essayer d'adoucir la réalité pour qu'elle soit plus acceptable, plus "politiquement correcte". Considérant que ce terme n'est pas exclusivement réservé à la Shoah, je me permet de dire que Tuol Sleng était bien un camp d'extermination et non une simple prison. Une fois que les prisonniers était à bout de force, et surtout si ils ne mourraient pas avant, ils étaient amenés à quinze kilomètres de Phnom Penh pour être achevés à la pioche ou à coup de pelle (il ne fallait pas "gaspiller" de balle") puis jetés dans la fausse commune.

Ce qui m'a perturbé, au delà des traces de sang présente au sol, c'est qu'à la tête de cette aberration des personnes comme Pol Pot, Leng Sary, ou encore Khieu Samphan (et j'en passe) ont tous étudiés en France avant de revenir au Cambodge. Nous avons donc une grande part de responsabilité dans ce génocide. Décidément, plus j'avance dans mon voyage, plus j'ai honte d'être française. Certes, je savais que nous avons prôné l'esclavagisme et le colonialisme (esclavagisme moderne) mais là, ça dépasse l’entendement. C'était il y a seulement 37 ans, vive le pays des droits de l'homme. Enfin vous me direz, on laisse actuellement le génocide Congolais continuer à tuer des milliers de personnes tous les jours...

Une fois sortie du musée j'étais bouleversée, je ne savais plus trop quoi penser. Après tout c'est peut être dans la nature de l'homme de s'autodétruire...

Le palais royal


Passons à un sujet plus architectural qu'historique, et surtout moins triste. Le palais royal a été construit en 1866 par le roi Norodom. Aujourd'hui le roi du Cambodge Preah Bat Samdech Preah Norodom Sihanouk (bonjour le nom à ralonge) et la reine Preah Reach Akka-Mohesey Norodom Monineath Sihanouk y résident.



Je n'ai pas pu prendre de photos à l'intérieur puisqu'il me fallait alors payer en plus. L'entrée étant déjà à 7 dollars, je n'avais pas l'envie de payer 3 dollars de plus pour ça. C'est beau mais je n'ai pas non plus été transcendé par la beauté des lieux. Dans l'enceinte du palais on peut alors visiter, la salle du couronnement, le théâtre de plein air, un pavillon extérieur (d'inspiration Napoléon, offert par l'impératrice Eugénie au début du XXe siècle), la résidence privée du roi et ses nombreuses collections d’œuvres d'artistes internationaux, et enfin son bureau. Je ne me suis pas tellement éternisée dans ces lieux, il faisait très chaud (37°) j'ai donc dû passer à côté de certaines choses.

Les Pagodes


Lieu de culte pour les Bouddhistes, pagode est un terme provenant du sanskrit bhagavati et qui signifie "déesse". Phnom Penh regorge de Pagodes en tout genre et est souvent entouré de bâtiments où vivent les moines bouddhistes. 








Certaines pagodes accueillent aussi des écoles primaires. Après être allée visité le musée du génocide, je suis allée me ressourcer en prenant des photos de ces belles petites écolières cambodgiennes.






J'ai bien rigolé à les regarder jouer. Une, avait déjà l'étoffe d'une leadeuse, une autre boudait dans son coin et une toute timide.


Direction Kampot

Après avoir attendu plus de quatre jours pour obtenir mon visa de deux mois pour la Thaïlande, je m'apprête à quitter Phom Penh pour rejoindre Kampot. Quarante dollars pour avoir l'esprit tranquille ça vaut le coup non ? Je constate quand même que l'attente et la lenteur des administrations est internationale. Je suis contente de bouger dans une plus petite ville et de retrouver Charlotte, une copine de Master qui voyage en Asie avec une amie à elle. Merci à Kanhchana et Dy pour ces bons moments, et pour m'avoir montré le Cambodge d'un autre œil. Et quand même merci à Claire de m'avoir mise en contact avec eux. Suite au prochain épisode...

Tendresse et chocolat,

Tifoune